À l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle, les datacenters sont devenus le cœur invisible de notre société connectée. Pourtant, derrière la virtualité de nos échanges et le stockage massif des données, ces infrastructures consomment d’énormes quantités d’énergie, dont une part importante est dédiée au refroidissement des serveurs.
Avec la montée en puissance de l’IA, les besoins en puissance de calcul, et donc en refroidissement, explosent, accentuant l’impact environnemental et la pollution des datacenters. Dans ce contexte, il devient crucial de s’intéresser à l’Analyse du Cycle de Vie (ACV) des systèmes de refroidissement : comprendre et optimiser leur empreinte écologique est un enjeu majeur pour accompagner la transition vers un numérique responsable.
Comprendre les impacts environnementaux des systèmes de refroidissement
Les systèmes de refroidissement dans les datacenters ne se limitent pas à une simple consommation d’électricité. Ils génèrent une diversité d’impacts environnementaux répartis sur plusieurs catégories :
- Consommation d’énergie primaire, liée au fonctionnement continu des équipements (compresseurs, ventilateurs, pompes, etc.).
- Utilisation de fluides frigorigènes, dont certains ont un fort potentiel de réchauffement global (PRG ou GWP). En cas de fuite, leur contribution aux émissions de gaz à effet de serre peut être significative.
- Consommation d’eau, en particulier pour les systèmes adiabatiques ou à évaporation, ce qui constitue un enjeu majeur dans les régions soumises au stress hydrique.
- Impacts matériaux, associés à la fabrication des composants (échangeurs en aluminium, compresseurs, cartes électroniques, etc.).
- Émissions indirectes, générées par l’électricité consommée, avec une intensité carbone dépendant fortement du mix énergétique local.
❓ Le saviez-vous ?
Dans certains cas, l’usage d’énergies renouvelables pour alimenter un datacenter peut déplacer une partie de l’impact environnemental vers les phases amont du cycle de vie (ex. fabrication de panneaux solaires ou de batteries), ce qui rend l’approche cycle de vie d’autant plus pertinente pour une évaluation globale
Comment structurer l’ACV d’un système complexe comme le refroidissement en datacenter
1. Définir l’objectif et le champ de l’étude
La première étape consiste à formuler précisément les objectifs de l’analyse : s’agit-il de comparer plusieurs solutions de refroidissement, de guider un choix d’équipement ou d’orienter une démarche d’éco-conception ?
Un point clé consiste à fixer les frontières du système étudié. Cela signifie définir précisément les processus que l’on inclut dans l’analyse, et ceux que l’on exclut. Ces choix dépendent de l’objectif fixé, des données disponibles et de la pertinence environnementale des différentes étapes.
Dans le cas du refroidissement en datacenter, cela peut correspondre, par exemple, à « 1 kWh thermique évacué sur une année de fonctionnement ». Ce choix est stratégique : plus le périmètre est large, plus l’évaluation est complète, mais aussi plus elle est exigeante en termes de données.
🙌 Remarque
Dans le cas des datacenters, inclure les fuites de fluides frigorigènes ou la fabrication des composants dans le périmètre (souvent en métaux rares ou en plastique technique) peut changer significativement les résultats.
Il est également indispensable de définir l’unité fonctionnelle, qui représente le service rendu par le système et sert de référence à l’ensemble des flux modélisés. Elle permet de comparer des solutions sur une base commune.
2. Réaliser l’inventaire du cycle de vie (ICV) et collecter les données
Cette phase consiste à recenser tous les flux entrants et sortants associés au système étudié, en lien avec l’unité fonctionnelle. Elle couvre généralement :
- les matières premières nécessaires à la fabrication des équipements
- leur transport,
- leur phase d’utilisation (énergie, fluides, eau, maintenance),
- leur fin de vie (démantèlement, valorisation, recyclage).
Chaque processus est ensuite associé à un équivalent dans une base de données d’ACV (comme Ecoinvent), qui détaille les flux élémentaires pour chaque activité. L’utilisateur n’a pas besoin de modéliser lui-même ces flux : la base les fournit sous forme standardisée.
La qualité des résultats dépend fortement de la précision des données d’entrée. Il est donc essentiel de recueillir des données aussi fines que possible, notamment :
- consommation énergétique réelle (kWh/an), mesurée ou monitorée,
- taux de fuite des fluides frigorigènes (généralement entre 1 % et 5 % par an, selon les systèmes – à affiner avec des retours terrain),
- durée de vie des équipements, fréquence de remplacement et de maintenance,
- composition et poids ou dimensions des composants (issues de fournisseurs ou de bases ACV),
- consommation d’eau pour le refroidissement, selon la technologie utilisée (eau perdue vs circuit fermé).
❓ Le saviez-vous ?
En ACV, on distingue trois types de données : les données spécifiques, collectées directement auprès de l’entreprise ou du site étudié ; les données semi-spécifiques, qui sont des moyennes sectorielles adaptées à un contexte particulier ; et les données génériques, issues de bases de données publiques et représentatives d’un secteur ou d’un procédé en général.
3. Évaluer les impacts environnementaux
Une fois l’inventaire réalisé, les flux élémentaires (émissions, extractions de ressources, etc.) sont convertis en impacts environnementaux à l’aide de facteurs d’impact. Ces derniers sont fournis par les bases de données ou les méthodes d’évaluation telles que ReCiPe, EF 3.0, ou TRACI.
Chaque flux est ainsi traduit en effets sur l’environnement, par exemple :
- 1 kg de CO₂ émis = impact sur le changement climatique,
- 1 m³ d’eau prélevé = impact sur les ressources en eau.
On obtient alors des résultats « bruts », déclinés selon les indicateurs choisis : changement climatique, pollution des eaux, toxicité humaine, épuisement des ressources, etc.
4. Modéliser les flux avec un logiciel ACV
La modélisation est généralement réalisée via des logiciels spécialisés comme SimaPro ou OpenLCA. On y intègre :
- les flux entrants : matières premières, électricité, eau, fluides frigorigènes
- les flux sortants : émissions (CO₂, gaz frigorigènes, effluents), déchets, chaleur fatale récupérable.
Conclusion : Vers des Datacenters plus durables grâce à l’ACV
L’ACV appliquée aux systèmes de refroidissement en datacenter permet de dépasser la seule approche énergétique pour intégrer l’ensemble des impacts environnementaux liés à ces systèmes.
Face à la montée en puissance du numérique et aux pressions réglementaires croissantes, elle devient un outil de pilotage stratégique pour orienter les choix technologiques, comparer des alternatives et documenter les gains réels liés à l’innovation (refroidissement liquide, recyclabilité, écoconception…).
Elle s’impose ainsi comme un levier central pour intégrer les datacenters dans une trajectoire de durabilité, en cohérence avec les objectifs climatiques, la gestion des ressources et la sobriété numérique.
