Consommation d’électricité à grande échelle, recours intensif à la climatisation, prélèvements d’eau faramineux et extraction de métaux rares : les data centers incarnent l’une des faces cachées et polluantes du numérique. Alors que leur nombre explose à travers le monde, il devient urgent de repenser leur fonctionnement pour concilier souveraineté numérique et sobriété environnementale.
À quoi ressemble un data center plus responsable ? Réponses dans cet article.
Rôle et fonctionnement d’un data center
Qu’est-ce qu’un data center ?
Les data centers consomment près de 2 % de l’électricité mondiale. Ce chiffre pourrait doubler d’ici 2030 si aucune mesure n’est prise. »
Source : ADEME
Un data center est une infrastructure physique composée d’un enchevêtrement de serveurs, de systèmes de stockage, de routeurs et d’équipements réseaux, tous interconnectés pour assurer le traitement continu de données numériques. Ils peuvent occuper quelques mètres carrés dans une entreprise, ou s’étendre sur plusieurs hectares, à l’image des gigantesques complexes opérés par les géants du web.
Les différents types de data centers
On distingue plusieurs types de data centers :
- Edge data centers : de plus petite taille, ils sont positionnés au plus proche des utilisateurs pour réduire la latence.
- Enterprise data centers : situés au sein des locaux d’une entreprise, ils hébergent exclusivement les données de cette dernière.
- Colocation centers : loués à plusieurs entreprises, ils mutualisent les infrastructures pour optimiser coûts et consommation énergétique.
- Hyperscale data centers : opérés par les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), ils traitent des volumes massifs de données avec une haute résilience.
🙌 Remarque
Plus le data center est grand, plus il est énergivore. Les hyperscales concentrent une énorme puissance de calcul qui nécessite des ressources énergétiques colossales
Chaque type de data center répond à des besoins différents, mais tous partagent des exigences techniques strictes : disponibilité 24h/24, gestion thermique rigoureuse, protection contre les intrusions et plans de secours en cas de panne.
Il existerait aujourd’hui plus de 4 800 data centers à travers le monde, avec une forte concentration en Amérique du Nord, en Europe de l’Ouest et en Asie.
Source : Telegeography
En France, on compte 149 data centers, dont près de 40 % sont situés en Île-de-France, du fait de la densité économique et de la connectivité de la région parisienne.
Ces chiffres ne cessent de croître, portés par l’explosion des usages numériques, le télétravail, la digitalisation des entreprises, mais aussi par l’essor de technologies très gourmandes comme l’intelligence artificielle ou les blockchains.
Des lieux ultra-sécurisés
Les data centers sont souvent comparés à des bunkers numériques. Leur accès est restreint à un personnel habilité, avec des contrôles biométriques, des sas de sécurité, et parfois même des vigiles armés.
Pourquoi tant de précautions ? Parce que les données qu’ils contiennent sont hautement sensibles. Il peut s’agir de :
- Données bancaires
- Informations de santé
- Brevets industriels
- Voire de données gouvernementales.
Rôle d’un data center
Les centres de données hébergent les contenus des sites web, les bases de données, les services applicatifs, les plateformes collaboratives (comme Microsoft 365 ou Google Workspace) et même les outils de visioconférence que les entreprises utilisent quotidiennement.
Cet hébergement externalisé rendu possible par les data centers a permis à des milliers d’entreprises, de toutes tailles, de déléguer la gestion de leurs systèmes d’information tout en garantissant un haut niveau de disponibilité.
Ce phénomène de centralisation pose néanmoins la question de la soutenabilité environnementale du numérique, surtout quand l’architecture informatique est pensée sans prendre en compte les principes du numérique responsable ou du Green IT.
GAFAM : des géants aux infrastructures titanesques
On ne parle pas de data centers sans évoquer les GAFAM (Google, Amazon, Facebook/Meta, Apple, Microsoft). Ces entreprises ne sont pas de simples locataires de serveurs : elles conçoivent, construisent et exploitent leurs propres infrastructures à grande échelle.
Prenons un exemple : en 2022, Amazon Web Services (AWS), filiale cloud d’Amazon, exploitait plus de 100 centres de données hyperscale à travers le monde. Ces data centers sont capables de traiter des exaoctets de données quotidiennement (soit plusieurs milliard de giga-octets), pour répondre à la demande exponentielle générée par les usages numériques modernes : IA, streaming vidéo, cloud gaming, réseaux sociaux, etc.
Les émissions de CO2 réelles liées aux data centers des GAFAM seraient 662% supérieures à celles annoncées par ces entreprises.
Source : The Guardian / Septembre 2024
Comment fonctionne un data center ?
Fonctionnement d’un data center
Si les data centers sont aujourd’hui bien identifiés dans l’imaginaire collectif, leur fonctionnement reste encore pour le moins méconnu. Voici une rapide description du fonctionnement de ces centres de données accompagnée d’un schéma explicatif :

Un data center reçoit de l’électricité en très haute tension via un poste source. Cette électricité est ensuite transformée pour alimenter le data center. Les serveurs informatiques traitent et stockent les données, connectés aux grandes artères Internet via la fibre optique.
Pour garantir leur bon fonctionnement, un système de climatisation évacue la chaleur produite. En cas de coupure électrique, des batteries et un groupe électrogène alimenté par une réserve de fuel prennent le relais.
Un fonctionnement en continu
Un data center ne dort jamais. Il fonctionne en continu, sans interruption.
Pour assurer cette disponibilité permanente, les data centers s’appuient sur une infrastructure en redondance. Cela signifie que chaque élément critique est dupliqué : alimentation électrique, lignes réseau, unités de refroidissement. Ainsi, si une panne survient, le système bascule automatiquement sur un circuit secondaire.
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Pourquoi les data centers polluent-ils autant ?
Consommation en énergie des data centers
Les data centers représentent 2% de l’empreinte carbone en France en 2025
Source : Mission interministérielle numérique responsable
Les data centers engloutissent une grande quantité d’énergie pour fonctionner et se maintenir à bonne température :
Consommation électrique des data centers
La première source de consommation énergétique d’un data center est l’alimentation électrique des équipements informatiques eux-mêmes. Serveurs, baies de stockage, switches, routeurs… tous ces composants fonctionnent sans pause et dégagent une chaleur importante qu’il faut ensuite dissiper.
Selon les estimations actuelles, les data centers génèrent environ 1 à 2% des gaz à effet de serre (GES) mondiaux, soit autant que le secteur aérien civil. Et cette proportion est en constante augmentation.
🙌 Remarque
En France, cette électricité provient essentiellement du nucléaire, ce qui limite les émissions directes de GES. Mais ailleurs dans le monde, beaucoup de data centers fonctionnent avec des énergies fossiles : gaz naturel, charbon, fioul.
Les enjeux de la climatisation des data centers
Les data centers sont équipés de systèmes de refroidissement, qui peuvent représenter jusqu’à 40 % de leur consommation énergétique totale.
🙌 Remarque
Même les data centers de nouvelle génération doivent maintenir une température constante entre 18 et 27°C, ce qui devient particulièrement problématique en période de canicule ou dans des régions arides.
Groupes électrogènes : un des facteurs majeurs de pollution des data centers
Pour garantir une alimentation ininterrompue, même en cas de coupure du réseau, chaque data center est équipé de groupes électrogènes de secours, généralement alimentés au fioul lourd ou au diesel. Ils peuvent prendre le relais en quelques secondes, mais leur empreinte environnementale est tout sauf négligeable.
“Les groupes électrogènes émettent des polluants atmosphériques nocifs (NOx, particules fines, CO₂) et représentent un angle mort du débat environnemental autour des data centers.”
Source : Violaine Colmet Daâge pour Reporterre, Avril 2025
Dans certaines villes, leur concentration peut contribuer à une pollution locale significative, surtout en cas de tests réguliers ou d’utilisation prolongée.
Consommation en eau des data centers
Un autre enjeu tout aussi préoccupant est la consommation en eau des data centers.
Pourquoi les data centers ont-ils besoin d’eau ?
La raison est simple : refroidir les équipements informatiques. Comme évoqué précédemment, les serveurs fonctionnent en continu et produisent énormément de chaleur. Or, pour éviter la surchauffe, il est indispensable de maintenir une température constante à l’intérieur du bâtiment.
Si certains centres utilisent des systèmes de refroidissement par air, d’autres — notamment les plus puissants — privilégient un refroidissement par évaporation d’eau, plus efficace et souvent plus économe en énergie. Cette méthode, appelée refroidissement adiabatique, repose sur l’aspersion d’eau sur des surfaces traversées par l’air chaud, lequel se refroidit en s’évaporant.
Un data center peut consommer jusqu’à 5 millions de litres d’eau par jour, soit l’équivalent des besoins quotidiens en eau d’une ville de 30 000 habitants.
Source : ADEME
Une pression sur les ressources locales
Le problème s’intensifie lorsque les data centers sont installés dans des zones où la ressource en eau est déjà sous tension.
C’est notamment le cas dans certaines régions des États-Unis (Arizona, Californie), mais aussi dans le Sud de l’Espagne ou en Amérique latine, où plusieurs implantations de géants du cloud ont été vivement critiquées par les ONG locales.
Autres facteurs de pollution
Les data centers génèrent d’autres formes de pollution, plus diffuses, mais tout aussi préoccupantes. Ces facteurs « cachés » méritent d’être mis en lumière pour construire un numérique responsable en entreprise.
Extraction des métaux rares
Construire un data center mobilise une quantité considérable de matériaux, extraits aux quatre coins du globe :
- Or, argent et cuivre pour la conductivité électrique ;
- Terres rares (néodyme, dysprosium…) pour les aimants permanents et circuits ;
- Lithium et cobalt pour les batteries de secours ;
- Silicium, pour les semi-conducteurs.
Ces matières premières sont issues de mines souvent situées dans des pays en développement, où les conditions d’extraction sont loin d’être durables : pollution des sols, émissions de gaz à effet de serre, déforestation, conflits sociaux et travail forcé…
L’extraction et le raffinage des matériaux nécessaires à l’équipement des data centers peuvent représenter jusqu’à 45 % de leur empreinte carbone totale sur l’ensemble du cycle de vie.
Source : ADEME
Suréquipement des data centers : trop de puissance inutile ?
De nombreuses études révèlent que les data centers sont massivement suréquipés :
- 77 % des serveurs dans le monde sont peu ou pas utilisés (selon France Nature Environnement)
- Les infrastructures sont souvent dimensionnées pour des pics de charge exceptionnels, mais tournent en sous-régime le reste du temps.
- Des équipements restent sous tension sans traitement de données réel, simplement par souci de disponibilité.
Tâches inutiles et dettes techniques
Autre sujet rarement abordé : la qualité du code et l’usage qui est fait des serveurs. De nombreuses applications sont mal conçues, redondantes, ou effectuent des tâches automatisées non essentielles qui sollicitent inutilement les ressources informatiques.
Ces mauvaises pratiques entraînent une activité serveur inutile, donc des émissions évitables. Ce phénomène est d’autant plus présent dans les environnements cloud, où la facilité de déploiement masque les coûts environnementaux réels.
L’écoconception logicielle permettrait de réduire la charge serveur pour de nombreuses applications métiers… à condition de repenser les usages en amont.
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Quelques solutions pour réduire la pollution des data centers
Alimenter les data centers avec de l’énergie verte
L’option la plus évidente pour réduire l’empreinte carbone des data centers est d’opter pour des sources d’énergie décarbonées :
- Énergie solaire : idéale dans les régions très ensoleillées, notamment pour les data centers de petite ou moyenne taille.
- Énergie éolienne : de plus en plus utilisée par les hyperscales, souvent couplée à des contrats d’achat à long terme (PPA).
- Énergie hydraulique : très efficace mais dépendante de la géographie.
- Nucléaire : controversé mais très bas carbone, il joue un rôle majeur en France.
❓ Le saviez-vous ?
En France, grâce au mix électrique fortement décarboné, un data center émet 6 fois moins de GES par kWh consommé qu’un équivalent situé en Allemagne ou aux États-Unis (selon Carbone 4).
Récupérer l’énergie des data centers
Le fonctionnement continu des serveurs génère une chaleur importante qui peut être captée, canalisée, puis valorisée pour chauffer des bâtiments ou des équipements collectifs.
L’un des exemples les plus médiatisés en France est celui de la piscine olympique de Saint-Denis, inaugurée pour les Jeux de Paris 2024. Grâce à un partenariat avec Equinix, un acteur majeur de l’hébergement numérique, la chaleur produite par le data center voisin est récupérée, acheminée via un échangeur thermique, puis injectée dans le système de chauffage de la piscine.
“Grâce à la récupération de chaleur des serveurs Equinix, la piscine olympique économise plus de 1 000 MWh par an.”
Source : BPI France
Malgré ces initiatives, seuls 10 à 15 % des data centers en France valorisent actuellement leur chaleur. Ce chiffre faible s’explique par la complexité technique, le coût d’investissement élevé, ou encore le manque de coordination entre les acteurs publics, les gestionnaires des data centers et les aménageurs urbains.
Améliorer les systèmes de refroidissement
Il existe aujourd’hui plusieurs technologies et méthodes pour refroidir les data centers plus efficacement. Certaines sont déjà opérationnelles, d’autres en cours de démocratisation. Tour d’horizon des principales stratégies de refroidissement.
Les couloirs chauds / froids
Il s’agit d’organiser les serveurs en rangées avec une séparation physique entre les flux d’air chaud et d’air froid.
- L’air froid est dirigé vers l’avant des serveurs (les prises d’air) ;
- L’air chaud expulsé par l’arrière est confiné, évitant qu’il ne revienne chauffer les équipements.
Ce système, appelé hot aisle / cold aisle, permet de limiter les pertes énergétiques liées au brassage thermique.
Bien mis en œuvre, ce système peut permettre une réduction de 15 à 20 % de la consommation liée au refroidissement.
Le free cooling
Le free cooling consiste à utiliser l’air extérieur pour refroidir les serveurs, sans passer par des systèmes de climatisation.
Il existe deux variantes :
- Free cooling direct : l’air extérieur est filtré et injecté dans les salles.
- Free cooling indirect : l’air extérieur sert à refroidir un circuit d’eau ou un échangeur thermique.
Cette solution est particulièrement efficace dans les régions tempérées ou froides (Irlande, Pays-Bas, nord de la France), mais elle devient plus difficile à mettre en œuvre dans les zones chaudes ou en période estivale.
🙌 Remarque
Le free cooling permet une économie d’énergie allant jusqu’à 70 % par rapport à un système de climatisation traditionnel
Refroidissement à l’air libre
Certaines architectures vont encore plus loin en ouvrant le bâtiment au vent ou à la circulation naturelle de l’air. C’est le cas de certains data centers en Scandinavie ou en milieu rural, où l’air ambiant est utilisé de manière passive.
Refroidissement par immersion dans des liquides diélectriques
C’est la solution la plus innovante — et peut-être la plus prometteuse : plonger les serveurs directement dans un liquide diélectrique, qui ne conduit pas l’électricité mais absorbe très efficacement la chaleur.
Les avantages sont multiples :
- Pas besoin d’air : fini les ventilateurs et les climatisations lourdes ;
- Refroidissement homogène : les composants chauffent moins, donc durent plus longtemps ;
- Moins de bruit, moins de poussière, moins d’entretien.
Certaines start-up et grands groupes (Microsoft, Submer, Asperitas) testent ou exploitent déjà cette technologie à grande échelle.